PAULINE

Octobre 2019

Guérir d’avoir été malade

Récemment, j’ai lu le témoignage d’une dame atteinte d’un cancer du sein qui disait “je remercie mon corps de s’être battu; je lui pardonne d’avoir été malade”. Pour moi, la première moitié de la phrase a été évidente, la deuxième l’est beaucoup moins. Pardonner à mon corps d’avoir été malade… Il s’agit d’une étape bien difficile!

Cela fait trois ans que le diagnostic est tombé, deux ans et demi que les traitements sont terminés, deux ans que j’ai recommencé à travailler. Pourtant le cancer fait encore partie de mon quotidien. Comment expliquer ça à ceux qui ont la chance de n’avoir jamais été gravement malade? Comment expliquer qu’on ne se remet pas d’un cancer comme on se remet d’une grippe? 

Ange à genoux

Il y a la peur de la récidive bien sûr. Le moindre mal de ventre, la moindre migraine, la plus petite sensation inhabituelle me fait paniquer. Et si c’était le cancer qui avait métastasé? Pour moi, la peur de la récidive est arrivée longtemps après les traitements, quand mon quotidien est redevenu suffisamment stable et apaisé pour me permettre de penser à l’avenir. Maintenant qu’elle est là, arriverais-je un jour à m’en défaire? J’en doute. 

Mais la peur de la récidive n’est que la pointe émergée de l’iceberg. Il y a aussi cette blessure psychique qui ne peut commencer à guérir que lorsque les traces physiques du cancer commencent à s’estomper. Cette blessure-là est plus profonde, intime, complexe. Importune aussi. Je suis guérie non? Quel droit ai-je donc de me plaindre quand certain(e)s n’en réchappent pas? 

Et puis il y a cette mutilation, cette amputation que je n’arrive pas à accepter. Je ne regrette pas d’avoir choisi la mastectomie plutôt que les rayons. Mais je ne parviens pas à faire mien ce nouveau sein. Comme l’a si bien dit mon chirurgien plastique il y a quelques semaines, c’est toujours son lambeau et pas encore mon sein. 

Dans ma vie quotidienne, je suis partagée entre l’envie d’être traitée comme tout le monde, comme avant, et le besoin qu’on reconnaisse ma souffrance. Mes cheveux ont repoussés, mes cicatrices sont cachées sous des vêtements, je n’ai plus ce teint grisâtre qu’ont les malades, je ris, je plaisante, je vis. La plupart du temps, je n’ai pas envie de parler de mon cancer, j’ai besoin de penser à autre chose, j’ai besoin de vivre normalement. Mais parfois, ce n’est qu’un masque. Parfois, j’ai envie qu’on me plaigne. Parfois, j’ai envie de m’apitoyer sur mon sort. Parfois, je voudrais m’asseoir et pleurer pour que que les gens autour de moi se rendent compte que, trois ans plus tard, je souffre encore. 

Ca va pas fort aujourd'hui

Ca va pas fort aujourd’hui

Paradoxalement, une part de moi est pourtant contente d’avoir eu ce cancer et de l’avoir eu à 30 ans. Le mot est fort, certes, mais vrai. Mon cancer m’a changée, m’a fait prendre conscience de la fragilité de la vie, de sa beauté aussi. Et, à 33 ans, j’ai encore la vie devant moi pour profiter de cette deuxième chance, de cette deuxième vie. 

Hope